
Coco Chanel pour les Ballets Russes, Hervé L. Leroux et Yves Saint Laurent pour Roland Petit, Gianni Versace pour Maurice Béjart, Christian Lacroix pour l'Opéra National de Paris, Jean Paul Gaultier pour Régine Chopinot et Angelin Preljocaj, Narcisso Rodriguez pour Christopher Wheeldon, Rei Kawakubo pour Merce Cunningham, Issey Miyake pour William Forsythe, Karl Lagerfeld pour l'English National Ballet... Et l'énumération n'est pas exhaustive. La dernière union entre le monde de la mode et celui de la danse est à découvrir sur les écrans de cinéma français, le 9 février, dans Black Swan. Darren Aronofsky a fait appel aux soeurs Mulleavy de Rodarte pour les costumes de son thriller. Saluée pour son rôle dans le film, Natalie Portman inspire des vocations. Définitivement une tendance de cet été 2011, le style danseuse s'infiltre dans nos garde-robes.
À la recherche d'un style.
La première à avoir été sollicitée par un chorégraphe, est Coco Chanel. La créatrice signe les costumes du ballet Le Train Bleu, en 1924. Celle qui s'évertua à libérer la femme, imagina des silhouettes de baigneurs, de golfeurs et de joueurs de tennis. Sur scène, le style sporty chic, dont elle est un des précurseurs, en est à ses prémices.
"Si on va chercher un couturier c'est parce qu'il a un style spécifique. Si on va chercher Gaultier c'est pour avoir un style Gaultier" confirme Delphine Pinasa directrice déléguée du Centre National du Costume de Scène (CNCS) et ancienne directrice des costumes de l'Opéra National de Paris. L'enfant terrible de la mode a travaillé pour une dizaine de ballets, avec Régine Chopinot de 1983 à 1993, et a plus récemment signé les costumes du ballet de d'Angelin Preljocaj, Blanche-Neige. Dans une interview accordé au Monde en 2008, Jean Paul Gaultier confie : "Une histoire, un ballet, un film, sont avant tout des ensembles et le costume doit s'intégrer dedans. Lorsque je travaille avec quelqu'un, je le respecte, je le flatte, je suis même servile. [...] Mais sans être prétentieux, j'ai le sentiment que mon style est suffisamment fort pour résister."
Lorsqu'un chorégraphe implique un couturier dans le processus de création de son ballet, il recherche une personnalité, un style unique. Il est en quête d'une vision particulière à mettre au service de l'histoire qu'il veut raconter, ou réinterpréter. Les collaborations de Roland Petit notamment ne devaient rien au hasard. Hervé L. Leroux raconte : "Roland Petit est venu vers moi. C'était l'époque d'Hervé Léger, il trouvait mes robes à bandes intéressantes. Il est venu me chercher parce qu'il cherchait quelque chose, il voulait que ça ressemble à ce que je faisais, ce qu'il aimait, c'était mon style appliqué au spectacle".
Cette "patte" du créateur transpire dans Black Swan. Rodarte applique son style romantique et gothique à Odette, et à son double maléfique, Odile, ainsi qu'aux autres personnages du ballet. Laura Mulleavy confiait au New-York Magazine : "Je pense que notre esthétique est naturellement en adéquation avec le film". Les soeurs ont voulu rester fidèles à l'esthétique classique du Lac des Cygnes, tout en lui donnant une dimension unique. Il fallait que les gens se disent "c'est le Lac des Cygnes de Black Swan", développe Kate Mulleavy pour le magazine américain.
Le duo contribue à l'univers inquiétant, beau et délicat, du film avec des costumes traditionnels et modernes à la fois. Si toutes les références classiques sont réunies, les plumes et le diadème notamment, la prolongation du costume sur le corps est très intéressante, explique Delphine Pinasa. Non seulement le regard de Natalie Portman s'apparente à celui de l'oiseau maléfique, mais le maquillage squelettique sur ses bras souligne la personnalité de son personnage.
Le couturier devient costumier.
De cet exercice de style découle souvent des créations magnifiques, mais non pas sans efforts. Hervé L. Leroux explique qu'"il y a une grande différence entre le spectacle et la mode. Ce ne sont pas des vêtements pour vivre, mais pour danser, se pose donc la problématique du corps". Forcément éloignés, et pas si loin pourtant. Delphine Pinasa souligne qu'il sagit toujours d'un travail sur le corps, sur l'habillage, mais "le costume de danse est le costume pour lequel il y a le plus de contraintes, qui sont celles du mouvement lié à la danse et la chorégraphie, il doit être une seconde peau. Il ne doit surtout pas gêner le danseur dans ses mouvements".
Le créateur des fameuses robes à bandes résume parfaitement les difficultés liées au costume de ballet : "c'est un monde très complexe, il faut de la patience, au niveau des rapports humain, et de la technique, ça ne s'improvise pas". Car si la mode est un exercice solitaire, la scène ne l'est pas, explique Christian Lacroix : "le spectacle ne peut naître que de l'osmose entre ceux qui le conçoivent, ceux qui l'éclairent, ceux qui le décorent, ceux qui le jouent, le chantent, le dansent" rapporte Philippe Noisette dans Les Couturiers de la danse.
Dans Black Swan, Rodarte a été confronté à cette problématique du corps et de l'effet scénique. "Construire un tutu est un des arts perdus de la couture. Notre boulot était de créer de magnifiques tutus, mais complètement fonctionnels aussi" confie Laura Mulleavy au New-York Magazine, poursuivant : "Un tutu, c'est treize couches de tulle [...], vous vous imaginez, c'est fou !"
De la danse à la mode.
"La mode influence le spectacle et les spectacles nourrissent la mode" disait Christian Lacroix à l'occasion de son exposition "Christian Lacroix costumiers" au CNCS . Les chemins de la mode et de la danse ne cessent de se croiser. Si la danse est venue à la recherche d'un style original chez les couturiers, la danse influence aussi directement la mode. Chanel, Erdem, mais surtout Chloé pour leurs collections Printemps-Eté 2011 s'inspirent des ballets. Hannah Macgibbon ne se contente pas d'allégories, la marque fait défiler des ballerines en chaussons de danse et tutus romantiques. C'est un des derniers hommages de la mode aux petits rats de l'Opéra, mais loin d'être le premier, il ne sera pas non plus le dernier.
En 1956, Rose Repetto crée un des basiques indémodables de la mode contemporaine : les ballerines. La mère de Roland Petit imagine spécialement pour Brigitte Bardot une paire de chaussures prénommée "Cendrillon", que l'actrice immortalisera dans "Et dieu créa la femme". La ballerine est née, et son succès, indéfinissable. Autre incursion de la danse dans la mode, la chaussure "Zizi" nommée d'après sa belle-fille, la danseuse Zizi Jeanmaire que Serge Gainsbourg rendra célèbre dans les années 70.
Si la danse nous chausse sans se soucier des tendances, il n'en va pas de même pour les jupons et les plumes. Cet été 2011, la tendance régressive se manifeste sous la formes de rêves de petites filles : devenir danseuse étoile, alors à vos tutus.
Marijke Zijlstra