
Retour sur la première collection de Gabrielle Greiss
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Gabrielle Greiss est Allemande. Et comme toutes les filles allemandes travaillant dans la mode, c'est une fille de caractère, décidée quant à sa trajectoire. Pour cette plus que trentenaire, née pas si loin de Munich d'un père industriel et chasseur par passion, la mode est avant une question d'attitude mais surtout d'histoires. Une histoire de famille, c'est sûr, mais aussi l'aventure d'une fille qui débarque à Londres à la Saint Martin's School dans les années 90, des rêves plein la tête. Ses créations portent déjà la même histoire : des filles elfes avec des ailes, des filles aussi punk que fragiles dont les robes de mousseline seraient comme une peau tendue et souple à la fois, une carapace transparente et volubile. Les premiers pas de Gabrielle sont pour un compatriote : elle travaille pour Kostas Murkudis de passage à Paris, mais qui reviendra plus tard s'installer dans sa ville natale, Munich.
Puis c'est sa première grande rencontre, avec Martine Sitbon. Elle durera huit ans. Elles sont toutes les deux rousses, naturelles ou pas, pas grave, mais elles partagent cette même passion pour des icônes qui ont surtout marqué les années 70, quelquefois des amies pour Martine comme Anita Pallemberg, grand amour de Keith Richards. Leur collaboration est fructueuse, et pour Martine, Gabrielle se plaît à proposer le vestiaire d'une fille étrange, un peu rock, taciturne, voire babydoll ou baby Jane avec cette présomption d'innocence qu'on aimerait donner à des tueuses de la pleine lune.
En quelques années, Gabrielle s'amuse de ces créations autant féminines qu'androgynes. Puis elle part travailler auprès de Sonia Rykiel, sort sur le podium avec elle. La marque Sonia Rykiel retrouve une fraîcheur inattendue, pas uniquement celle des podiums, mais dans les boutiques apparait une innocence sucrée avec des couleurs aussi jaunes qu'oranges, des robes de coton franches et généreuses à la fois. Mais à la tête de la direction artistique de la collection femme Rykiel, Gabrielle Greiss imagine déjà revenir vers ses sources personnelles. En attendant un passage auprès d'Alber Elbaz, quelques conseils à des marques italiennes et deux saisons pour la ligne See by Chloé, Gabrielle prépare sa première aventure solo...
L'aventure est locale au début, un bureau dans une arrière-cour fleurie non loin de son appartement dans le 10ème arrondissement, et Gabrielle a décidé de s'entourer d'amis, d'Anette Hultzsch, Allemande comme elle, experte en maille chez de nombreuses marques de luxe, et d'autres conseils qui sont prêts à l'aider.
Pour sa première collection, lancée en octobre dernier, à peu près 15 robes délivrent l'essence-même de sa pensée, une fille romantique, mais un romantique plus noir que doux, constitué de larges pans de tissu qui créent des volumes libres et s'attachent autour du corps. Dans cette histoire, il y a la danse, ou le rite fanatique piqué au film de prédilection de Gabrielle, "Les petites marguerites" de Věra Chytilová (1966), réalisatrice tchèque de ce que l'on peut considérer être la Nouvelle Vague de là-bas. Mais il y a aussi les images libres et sans fioritures des corps photographiés de Corinne Day, photographe réaliste d'origine anglaise et décédée il y a peu.
Les matières ? De la mousseline, forcément mais du jersey et des associations de couleurs qui rappellent l'étrange pâleur des ballets de Pina Baush. Gabrielle Greiss a concentré ici ses obsessions pour une collection qu'elle considère comme point de départ de toutes ses autres ambitions. L'été prochain devrait voir apparaître pantalons, maille et tops. Une jolie promesse, en tout cas.
En attendant, on regardera avec tendresse ce premier film interprétant à merveille les obsessions de la créatrice. Un film peuplé d'étranges créatures et réalisé par l'artiste Camille Vivier.
F.P