
Le Festival d'Hyères gagne chaque année en audience et en reconnaissance. Après Dries Van Noten en 2010, Raf Simons en 2011 et Yohji Yamamoto en 2012, c'est au tour de Felipe Oliveira Baptista de présider la 28eme édition d'un Festival qui l'a vu débuter puisqu'il fut en 2002 lauréat du concours mode d'une manifestation qui ne cesse d'évoluer.
Interview du créateur Felipe Oliveira Baptista, directeur artistique de Lacoste et président de la 28eme édition du Festival d'Hyères.
Le présidence du jury mode demande aussi d'investir le lieu magique de la piscine de la villa Noailles, parles-nous de ton installation.
C'est très casse-gueule de faire une expo là-bas, car c'est la plus belle pièce de la villa et de nombreux créateurs l'ont déjà investie avant moi. L'idée était d'installer en son centre le " cerveau ",une accumulation d'écrans ultra plats de toutes taille avec tous leurs fils apparents montés sur des trépieds légers, les écrans présentant toutes les images qui m'inspirent actuellement. On avait l'idée du cerveau mais on ne pouvait pas fermer les fenêtres qui font toute la magie de la pièce, ni le mettre dans une boite noire . Nous tenions à réussir un dialogue avec l'espace, alors nous avons improvisé avec des cloisons qui suivent un peu les dessins des verrières du plafond ensuite nous avons eu la possibilité de les faire en miroir, ce qui donnait une lecture très nouvelle de l'endroit, accentuant encore son côté " art déco ". Et puis, ce jeu de miroirs déstabilise, dans l'espace on ne comprend pas où sont les entrées qui mènent au " cerveau ". Une installation en collaboration avec Alexandre de Betak.
Tu travailles souvent avec Alexandre de Betak?
Depuis deux ou trois défilés Lacoste. Je l'apprécie car il est très dans l'expérimentation et aime aller au-delà des choses. Comme avant celle d'Hyères, j'ai reçu l'invitation à exposer au Mude, le Musée du design et de la mode à Lisbonne (à partir du 17 Octobre et pour 4 mois), je lui en ai parlé et il a très gentiment accepté de faire la scénographie car, comme tu peux l'imaginer, il n'y a pas tellement de gros budgets en ce moment pour la scéno dans les musées au Portugal. Quand Jean-Pierre Blanc m'a proposé de venir à Hyères, on a fait en sorte que cette exposition soit une preview de ce qui va se passer a Lisbonne. Seule la pièce voyagera à Lisbonne, mais c'est aussi toute la mise en scène autour que la pièce a qui a emporté le morceau. Une histoire deux en un, les miroirs et le lieux fonctionnaient de façon magique.
Qu'est-ce qu'on ressent à présider le jury quand on a soi-même été lauréat à Hyères 11 ans auparavant ?
J'ai été très ému quand Jean-Pierre me l'a demandé, j'ai donc dit oui, tout de suite. Pour moi cette expérience à Hyères reste un des plus beaux souvenirs de ma petite carrière. C'est quand même extraordinaire ce festival. En avoir eu l'idée il y a 28 ans relève d'une vision incroyable. L'idée de pouvoir redonner aussi un peu en retour était pour moi très évidente, il n'y a eu aucune hésitation.
Cela s'est fait aussi avec Charles Fréger qui réalisait ses photos pour les 80 ans de Lacoste et qui est lui-même un lauréat de la section photo du festival. Personnellement, j'ai parlé à Jean-Pierre du projet de livre que je faisais avec Charles. Nous n'avions pas d'endroit pour lancer l'exposition en tant que projet avant que cela ne devienne un livre, alors Jean-Pierre Blanc a proposé de les exposer dans le squash de la villa et tu connais la suite.
C'est toi qui avait choisi Charles Fréger pour Lacoste ?
Je le connaissais depuis longtemps . J'avais référencé son travail dans mes recherches des images qui m'inspirent. On s'est très souvent dit qu'on allait faire un truc ensemble. Passer de son rapport aux uniformes à la chemise polo Lacoste, était tout à fait envisageable, j'avais en tête de faire quelque chose sur la démocratie du polo et sa diversité. Ça n'a pas été toujours facile de convaincre certains responsables de Lacoste car les photos de Charles Fréger ne s'inscrivent pas dans la façon classique qu'on a toujours eu, de magnifier la marque. C'est plutôt un récit brut, honnête et réaliste. Pas d'environnement de luxe, on n'a pas choisi de faire porter ces 80 polos à 80 stars. Désormais tout le monde est assez content et le livre sera très beau.
Entre 2002 et aujourd'hui, la présentation des jeunes stylistes devant un jury à Hyères a beaucoup évolué ?
C'est très différent. A l'époque chaque participant occupait une chambre de la villa. On arrivait 10 jours avant le défilé et on investissait l'endroit et c'était dans ce lieu que le jury venait voir nos vêtements après le premier défilé.
Aujourd'hui les jeunes stylistes se présentent avant, ils sont hyper forts et savent passer sur leur timidité pour parler de leur boulot, il y parviennent tous. Je suis bien content de n'avoir pas eu ce genre d'épreuve à passer en 2002. Cela va avec l'air du temps, on demande a un créateur d'aller au bout des choses, de s'expliquer, de ne pas être dans son coin.
Beaucoup de bagarres entre membres du jury pour parvenir à un résultat ?
On a beaucoup réagi à la suite de la présentation au jury tout en sachant qu'il était inutile de se faire une idée avant d'avoir vu leurs silhouettes défiler et les vêtements en mouvement. Le lendemain on les a revu un par un dans leur showroom, là j'ai demandé au public de nous laisser seuls avec les candidats, afin de pouvoir échanger une dernière fois avec chacun et de revoir les pièces dans le détail. Il y a encore eu un dîner entre nous avant la délibération.
Tu t'es beaucoup impliqué dans la sélection ?
Oui, je suis arrivé dès l'étape du premier choix, des 350 dossiers aux 50 premiers sélectionnés, avec les gens du festival et Maïda Gregory Boina, la directrice artistique du défilé. A Paris, le choix des 10, avec déjà 4 des membres du jury, s'est fait dans mon studio. Ce n'est pas juste un choix esthétique, l'idée est de trouver des jeunes stylistes qui ont un point de vue, une vraie personnalité et dont l'histoire tient la route car aujourd'hui, il y a tellement de tout.
Propos recueillis par Paquita Paquin