
Le métier d'acheteur, c'est comme celui de consultant : bien trop vague pour l'humain lambda. Être acheteur, c'est comme dire qu'on travaille dans la mode à un ingénieur informatique : Bug. Et pourtant le job n'est pas donné à tout le monde. Flair, style, confiance, passion... les qualités requises sont rares mais indispensables pour oser, tenter, dénicher des pièces qui se porteront la saison suivante auprès des fashionistas comme des plus affranchis.
A l'heure où le web transforme la cliente en apprentie dénicheuse grâce à son offre croissante et alors que les grands magasins attirent foule en cette période de Noël, qu'en est-il de l'acheteur professionnel ? Réponses avec Shira Suveyke pour THE OUTNET.COM et Maria Luisa pour Maria Luisa au Printemps Haussmann.
Shira Suveyke, Directrice Global des Achats, sur THE OUTNET.COM
Comment devient-on acheteuse ?
Etre acheteur dans le milieu de la mode c'est être à la fois créatif et à l'aise avec les
chiffres. Un acheteur travaille sur l'esthétique d'un produit tout en analysant sa valeur
commerciale.
Votre journée type ?
Le moment le plus chargé de ma journée est sans doute le matin. Comme nous sommes une entreprise internationale, lorsque je me lève, nos homologues chinois se couchent et nos collègues de Londres sont au milieu de leur journée de travail. Une fois que je suis arrivée à notre bureau de Manhattan je retrouve mon équipe pour discuter d'éventuelles opportunités d'achats et de collaborations exclusives. En général, l'après midi est consacré aux rendez-vous à l'extérieur, rendez-vous qui finissent souvent en apéritifs ou en dîners dans des endroits branchés comme chez Gemma, Il Buco ou Acme.
D'où provient votre destock ?
Chez THE OUTNET, nous avons une équipe d'acheteurs très sérieuse, et 75% de nos stocks proviennent directement de nos marques. Le discount fait partie du cycle de vente et les designers nous font confiance : nous devons proposer leurs invendus de la même manière que leurs articles actuels.
Sur quoi vous basez-vous pour savoir si telle ou telle pièce va fonctionner ?
Nous connaissons notre clientèle. Nous savons que notre cliente est une femme cultivée, qui a de la jugeote et qui apprécie les marques de designers et les articles à la mode. Je tâche, par ailleurs, de toujours me tenir informée des dernières tendances en assistant aux défilés, en lisant les magazines dédiés au commerce et j'essaye de parler avec nos clients. Nous choisissions des créateurs que nos clientes aiment tels que Hervé Léger, Balmain, Chloé et Azzedine Alaia mais nous sommes toujours à l'affut de nouveaux produits pour compléter notre éventail de designers (plus de 250 labels à ce jour).
Pourquoi aimez-vous votre métier ?
En tant que cliente, je prends toujours beaucoup de plaisir à dénicher des pièces uniques de designers à prix réduit. En tant qu'acheteuse, c'est tout aussi excitant de trouver les articles qui feront plaisir à nos clientes.
Maria Luisa, acheteuse pour Maria Luisa au Printemps Haussmann
Maria Luisa, votre renommée est internationale. Êtes-vous ce qu'on appelle une acheteuse ?
Plus qu'un métier d'acheteuse, je crois que ma réputation vient davantage du côté dénicheuse. Souvent avec une petite longueur d'avance. Notre sélection a toujours été libre, audacieuse, faite de coup de coeur qui ne répondent pas à des critères de tendances.
Comment avez-vous bâti cette réputation ?
Ma réputation date d'une époque où nous n'avions pas les soucis d'aujourd'hui. Je bénéficiais alors de moyens qui sont aujourd'hui accessibles à tous. J'ai un oeil interpellé par tout ce qui est différent. Ce qui est répétitif ne me frappe pas. Je vais vite repérer quelque chose de différent et insolite. Je ne suis pas sûre que ce que je vois va marcher. A force de ne pas me tromper j'ai pris confiance mais à l'époque je n'en dormais pas de la nuit.
Comment c'était à vos débuts ?
C'était très dur. Je n'avais pas du tout confiance en moi. Quand j'ai commencé j'ai pris un risque total de A à Z. Je ne connaissais pas la métier. Je me suis retrouvée par un hasard de circonstance à la tête d'une boutique vide rue Cambon, sans associé ni partenaire et avec mon mari on a décide de lancer l'aventure. J'ai ouvert un journal professionnel et j'ai mis des petites croix devant les maisons que j'aimais. J'ai pris mon téléphone et j'ai contacté tout le monde. Personne n'avait sollicité ces marques-là. Nous étions à la fin des années 80, les créateurs étaient cachés, Azzedine Alaia était rue de Bellechasse, Jean Paul Gaultier était caché au fond d'une galerie. Je crois qu'ils ont été séduits que quelqu'un ait voulu les installer dans le Faubourg. Aujourd'hui ce n'est plus la même histoire mais un oeil juste reste un oeil juste.
Le client a-t-il changé ?
Pas vraiment. C'est moins codé que dans le temps. Avant il y avait plus de fans. Dans les défilés les gens avaient des discussions passionnées... Aujourd'hui, c'est une industrie marquetée. Mais le client reste le même. Il veut des conseils et il est prêt à écouter une histoire et qu'on s'occupe de lui. Si on le fait bien.
Pouvez-vous établir un calendrier des temps forts ?
Quand on est avec un grand magasin comme le Printemps, on suit aussi son calendrier. Pour Noël par exemple, le Printemps fait dans l'évènementiel. L'animation est donc devenue une composante élémentaire de notre métier.
En terme d'achat, ça s'est rallongé par rapport au début. A mon époque, il y a environ 25 ans, on ne connaissait pas les pré-collections. On achetait en mars et octobre. Aujourd'hui les défilés, c'est un peu un spectacle pour les médias, c'est le sel et poivre. C'est à peine 30% de nos achats. Nous acheteurs, on a rempli nos caddies fin juin et fin janvier à 80% avec les bridge collection. Nous sommes pris 6 mois par an minimum. Le reste c'est du sourcing, des contacts... et des évènements dans le cadre du Printemps.
Des clients vous suivent ?
il y a beaucoup de fidélisation. On a toujours été extrêmement exigeants sur la qualité. Donc on a un pointu assez pérenne. Quand vous prenez un vrai créatif, vous obtenez des pièces belles et pérenes. Elles seront modernes, intéressantes même 10 ans après. Votre blouson Balenciaga peut dormir 2 saisons et ressortir de son placard comme neuf.
Etre acheteur au Printemps, ça a des limites ?
Je suis totalement libre, on est venue me chercher. C'est finalement plus facile car on a l'impression de faire son métier avec d'autres dimensions, du monde circule au Printemps et les évènements donnent plus d'impacts. J'ai enfin les outils du XIXe siècle sans changer la nature de mon activité.
Chloé de Trogoff