
Le Musée des Arts Décoratifs donne carte blanche à Jean-Paul Goude pour une rétrospective de presque 50 ans de création. Photographe, peintre, metteur en scène, chorégraphe, créateur de mobilier, dessinateur et directeur artistique, Jean-Paul Goude comme de nombreux artistes contemporains va composer à travers divers médias une oeuvre qui brasse avant tout ses obsessions : le métissage, les bandes de rue, le sauvage, la danse, l'affirmation esthétique des corps.
Une fresque au magasin Brummell du Printemps le fait connaître au début des années 60, il deviendra le directeur artistique du magazine Esquire à New York, mettra en scène et photographiera toutes les femmes de sa vie, de Grace Jones à Farida, jusqu'à Karen son actuelle épouse coréenne. Le point culminant de sa carrière fut la célébration du bicentenaire de la Révolution Française, le 14 Juillet 1989. Les Champs Elysées servaient alors de décor pour la plus grande parade de tous les temps, des milliers de figurants venus des grands pays du globe composant, au son des percussions, des tableaux élégants, vigoureux et hors normes qui, lorsque j'ai eu la chance de les voir lors de la répétition générale la nuit du 12 Juillet m'ont frappée à jamais... Jean-Paul Goude enchaînera ensuite les clips publicitaires, tous plus rythmés et incisifs, pour Chanel (Egoïste et N° 5), pour Levi's, Perrier ou Orangina.
Si Jean-Paul Goude a toujours préféré la photo de mode à la photo d'art, le music-hall et le rap au ballet conventionnel, les percussions ou Quincy Jones aux mélodies classiques, cet admirateur du populaire et du tribal, qu'on ne trouve ni à la FIAC, ni dans une galerie d'art, met désormais le plus souvent son talent au service de la publicité. Depuis dix ans, il peaufine pour les Galeries Lafayette des images artisanales comme des petits tableaux qui restent l'illustration de ses fantasmes.
À quelques heures du vernissage de cette première rétrospective, qu'est-ce que tu ressens ?
Ma rétrospective, je l'ai toujours faite. J'ai toujours parlé de moi, je me suis toujours examiné sous toutes les coutures, j'ai toujours voulu m'améliorer et améliorer tout ce qui tourne autour de moi. La rétrospective, c'est donc le mode le plus banal et le plus simple pour moi. Au contraire de certaines personnes qui trouvent flippant de voir leur vie défiler. Moi j'ai le sentiment de voir ma vie défiler depuis tout jeune, et surtout depuis New York, depuis que j'ai commencé à travailler un peu plus sérieusement.
Est-ce particulièrement jubilatoire ?
Ici, aux Arts Déco, c'est la même chose, en plus pointu (et ça pourrait l'être encore plus). Ce qui est intéressant, c'est d'être arrivé à un niveau de mythification, d'auto mythification (grâce au mot d'Edgar Morin, qui a trouvé le terme Goudemalion). Cela me permet, non pas d'être un mégalomane total, mais d'imputer la responsabilité de tout ça à ce personnage, Goudemalion qui est en fait tout le contraire de Pygmalion car c'est un personnage tout à fait charmant, un peu pathétique, qui passe sa vie à transformer les vraies femmes en statues et qui a beaucoup de mal à le faire.
Tu n'as jamais fait cela avec tes propres enfants ?
Ah ben non ! D'abord, je n'ai pas d'attirance sexuelle pour mes propres enfants, ce sont des enfants. Et parce que tout vient de l'attirance sexuelle, tout vient de l'envie de plaire à la proie parce qu'il faut lui plaire pour qu'elle décide de te laisser faire, de se soumettre. C'est elle qui décide, ce n'est pas toi. Mais pour en arriver là, il a fallu que j'en fasse des acrobaties, il a fallu que je porte des prothèses, que je fasse très, très attention à mon aspect extérieur ! Alors qu'à la fin de ma vie, je m'aperçois que tout ça n'était pas vraiment aussi important, que les femmes n'étaient pas aussi exigeantes que je le pensais. Mais bon, c'est fait c'est fait !
Est-ce l'imposante nef du Musée des Arts Décoratifs qui imposait les statues monumentales ? Notamment celles de Grace Jones enceinte et de Farida en valseuse, ainsi que la présence de la locomotive du défilé des Champs Elysées du 14 juillet 1989 ?
Il faut savoir occuper l'espace. C'est vrai que faire un spectacle sur les Champs Elysées, ce n'est pas la même chose que de faire un spectacle au Théâtre d'Aunou. Il faut être à la hauteur du lieu, mais je dois avouer qu'il y a un an, je me suis dégonflé, je suis revenu sur l'idée d'apporte la grande locomotive. Puis j'ai compris que c'est grâce à elle que l'on sentirait ma présence. Si je m'étais borné à montrer mes petits dessins, ça n'aurait pas fonctionné dans un endroit comme ça. À côté de cela on a pu cloisonner des salles, et tu remarqueras que cela va du tout petit dessin sous plexiglas au truc gigantesque.
Pour toi, une femme désirée est-elle toujours une candidate au perfectionnement esthétique ?
Oui mais moi, pour me faire aimer des femmes, il a fallu que je change mon apparence parce que je me jugeais. Me mettant la place de la femme, je me disais : ce mec il n'est pas possible, il faut qu'il change ça, ça et ça. Je l'ai fait, j'arrivais alors armé pour la séduction.
Une fois séduit, tu changeais aussi l'apparence de ces femmes ?
Ça n'a rien à voir ! Le premier temps consiste à être admis, la deuxième phase, une fois que tu es admis dans le club, tu change les lois du club. Non je blague. Tu fais simplement profiter les autres de ce que tu sais faire. Et je pense avoir aidé deux-trois personnes à sortir d'elles-mêmes, à s'améliorer, à se parfaire, à s'épanouir.
" ...Elle avait tout pour me plaire parce que j'en avais cette idée préconçue " dis-tu à propos de Vanessa paradis,qui fut l'héroïne du clip que tu as réalisé pour le n°5 de Chanel. Tu imaginais Vanessa paradis comme Titi, l'oiseau de Titi et gros minet ? Il existe en fait, dans ton imagination, un fantasme de départ que tu calques sur le modèle? L'idée préconçue est-elle le moteur de ta création ?
C'est possible, mais je n'avais pas d'attirance sexuelle pour ce modèle-là. Cela paraît grossier de dire cela, mais Vanessa Paradis était parfaite pour le rôle. Elle n'était pas mon genre de femme, je n'étais pas ému sur le plan sensuel. Je l'avais imaginée comme un oiseau, comme une petite Cosette souffreteuse. Elle aurait pu jouer le rôle de La petite fille aux allumettes et surtout Titi, à cause de son grand front bombé.
Dès le milieu des années 60, tu utilises la retouche photo qui n'existait pas et s'est ensuite incroyablement banalisée...
J'utilise un matériel qui est fait pour la retouche photo, mais ce n'est pas de la retouche, c'est carrément de la création à partir d'une feuille blanche, voilà ce qui me différencie d'un photographe. Celui-ci part d'une situation qu'il a soigneusement mise en scène et qu'il photographie, moi je pars de différentes sources pour fabriquer la situation à partir de la feuille blanche. Je me sers de la texture photo pour le faire, c'est très réaliste, mais ça n'est pas de la photo. Je travaille avec un instrument qui permet à la fois de retoucher et de faire autre chose, mais cet instrument aujourd'hui est utilisé pour une retouche systématique que je trouve inintéressante. Si demain j'avais une photo à retoucher, je laisserais probablement deux ou trois boutons d'acné tout en transformant le visage de la personne. Retoucher pour retoucher cela ne m'intéresse pas.
Pour en revenir à la technique que j'utilisais pour changer les proportions, c'est vrai que j'ai commencé à découper des ektas et à faire une cuisine que je n'avais jamais faite avant. Là, j'étais en présence de " Ma patte ", certaines personnes travaillent avec de l'huile, d'autres de l'acrylique. Moi, ma pâte, c'est le scotch, les ciseaux, le cutter, l'émulsion photo, le tirage retravaillé : le bricolage au même titre que la peinture qui aussi du bricolage.
Que penses-tu de la chirurgie esthétique telle qu'elle s'est démocratisée et banalisée ?
C'est un peu comme les ordinateurs, c'est une technique qui existe. Mise dans des mains responsables, imaginatives ou créatives, cela peut sauver des vies, devenir formidable et extrêmement positif. Malheureusement ça n'est pas le cas. Quand cette technique n'est utilisée que par des opportunistes et des gens qui ne travaillent pas très bien... Je n'ai pas encore rencontré de lifting transcendant, pourtant j'ai vu quelques nez pas mal du tout.
Qui par exemple ?
Ah je ne veux pas dire, je suis un gentleman... Je pense à deux-trois mannequins qui ont des nez assez jolis car le sculpteur... le chirurgien a eu le bon goût de leur laisser une bosse. En fait d'où vient le mauvais goût en matière de chirurgie esthétique ? De l'artiste, de l'artisan. S'il a mauvais goût, ça ne marche pas. Le problème de Michael Jackson, c'était son mauvais goût. Il y a quand même quelque chose de touchant chez les gens qui se font refaire. C'est pour eux une façon de lutter contre la mort, ils ne veulent pas seulement rester jeunes, beaux et désirables, ils veulent rester vivants et je trouve ça touchant. Tous les êtres humains sont pareils. Il n'empêche qu'il y en a de plus ou moins gonflés, qui prennent de vrais risques et je trouve fou de prendre ce genre de risques.
J'ai une question...
Très personnelle ?
Que projettes-tu de faire dans les dix prochaines années ?
Vivre ! Je voudrais rester vivant, voilà, avant tout ! Et, si je reste vivant, je continuerai à travailler.
Autant ?
Oui ! Là, ça va. Je fais de la gym le matin, c'est une nécessité car j'ai eu un problème de dos. Et c'est vrai que c'est bon pour la tête.
Je te trouve très en forme Paquita.
Propos recueillis par Paquita Paquin
" Goudemalion "
Jean Paul Goude, une rétrospective au Musée des arts décoratifs
107 rue de Rivoli 75001 Paris
Du 11 novembre au 18 Mars 2012