
Le Modalogue : Retour sur le Festival International de la Mode et de la Photographie d'Hyères 2008
Jean Paul Lespagnard : Depuis la fin de mes études je veux participer au Festival, l'utiliser comme un tremplin. Je ne voulais pas le faire pendant mes études, j'ai donc étudié mon truc à fond et attendu six ans. Pendant ce temps, j'ai multiplié les collaborations et les boulots, j'ai travaillé pour différents créateurs dont Annemie Verbeke - créatrice belge spécialisée dans la maille -, j'ai fait du stylisme photo - ce qui m'a appris à créer des univers - et j'ai également travaillé pour la danse et le théâtre. Tous ces métiers m'ont nourris et lorsque je me suis senti prêt j'ai envoyé mon dossier.
"Je devais en passer par là"
Je me suis dit que je n'allais pas être sélectionné à cause du thème, et de tout ça, mais au fond j'espérais de tout mon coeur. J'ai toujours eu la sensation que je devais en passer par là avant tout autre chose. En même temps, je n'imagine pas comment cela ce serait passé si je n'avais pas été sélectionné ! Tout le monde en Belgique disait que j'étais fou. Mais le fait d'être reconnu par un jury présidé par Riccardo Tisci, fait que depuis les gens me perçoivent différemment.
Jacqueline, la vendeuse de frites
Jacqueline est le personnage central de mes deux collections - celle primée au FIMPH et la collection pour 1.2.3. C'est quelqu'un qui mène une vie normale à Bruxelles, mais qui a eu l'idée folle de partir au Texas et qui se bat pour transformer son rêve en réalité. Il y a chez elle ce désir d'aller plus haut: ainsi, pour ma seconde collection elle se retrouve à la montagne avec Sylvester Stallone! On peut faire un parallèle entre mon parcours et celui de Jacqueline, c'est très personnel en fait.
Tes collections sont-elles toujours centrées sur un personnage ?
Il y a quelques années, j'ai imaginé l'histoire d'une femme rentrant de son travail et qui cinq minutes après sautait dans un taxi pour se retrouver dans une fête très habillée. Mais elle est tellement hystérique qu'elle se retrouve avec des vêtements enfilés de façon... Bizarre. En fait, plus qu'à un personnage, je pense à un état d'esprit, un état d'âme, une façon d'être. Et en cela le fanatisme m'intéresse beaucoup car c'est une obsession sur quelqu'un, une chose ou un but.
Obsession ?
Quand j'étais à l'école j'ai fait une collection baptisée la "Vierge Marie joueuse de foot". Je comparais le hooliganisme et le fanatisme religieux. Ce sont des choses qui me parlent. Visuellement, cela mêlait des badges et des écussons de foot rebrodés de partout, des vestes avec des manches faites avec des chaussettes de football ou encore des images pieuses sur des écharpes de supporters faites à partir de photos des joueurs. Le tout brodé par des artisans locaux, j'accorde beaucoup d'importance à la tradition.
La tradition
C'est très important pour moi de travailler avec les talents artisanaux, j'utilise beaucoup le point de croix dans mes collections. En ce sens je me sens proche de Jean-Paul Gaultier a ses débuts, il y a un coté pop et un côté traditionnel dans son travail sur le corset par exemple.
Des créateurs source d'inspiration
Je n'ai pas de créateurs fétiches à proprement parler, j'aime acheter et regarder la mode. Mon inspiration je la trouve ailleurs, dans la culture populaire, dans le théâtre, la danse ou l'art. J'adore des artistes comme Jeff Koons ou Paul McCarty, j'essaie moi aussi d'apporter ce goût/dégoût dans la mode, mais cela est difficile car la mode est question de belles choses. En fait j'adore détester et je déteste aimer.
Je suis toujours impressionné par les chaussures que portent tes mannequins, ces talons vertigineux...
Quelle soit dans un fritkot - baraque à frites - ou à la montagne, mon héroïne porte toujours ses talons, quand je vais devoir devenir "plus commercial" il sera difficile pour moi de faire des chaussures plates, car pour moi cela correspond à une basket. Je suis très codé, une chaussure à talons "doit en avoir", une chaussure plate est une basket, des bottes à talons, pour moi, cela n'a que très peu de sens. J'aime la démesure pour que les choses aient une vraie présence.
Jean-Paul Lespagnard et le monde de la mode
Je suis très à l'aise dans ce monde. Les gens me soutiennent, les journalistes aiment mes créations "rigolotes" et positives, ils me comprennent et me disent qu'ils veulent voir ce genre de choses. Les acheteurs également sont présents et de belles choses sont à venir, il y a de la curiosité et de la demande.
Parle-nous de la collection 1.2.3
En France, elle est vendue à Paris et à Lille. À Bruxelles, toute la collection est partie en très peu de temps. À Paris je souffre d'un problème de visibilité en boutique, mais le processus de création avec 1.2.3 était très intéressant pour moi.
Quelle est la cliente de Jean-Paul Lespagnard, quelle est la femme Jean-Paul Lespagnard ?
C'est une femme qui ne craint pas de montrer son coté animal et sa passion pour les choses; elle n'a pas peur du bien pensant. C'est une femme qui prend le luxe d'être elle-même, qui a de l'esprit et de l'humour. Elle doit aimer séduire, le glamour est très important dans mon travail.
As-tu une égérie ?
Cela pourrait être Jenny McCarty ou Julie de Yelle. Jenny McCarty est une femme extraordinaire, elle est mariée à Jim Carey (qui ne doit pas être évident à gérer), son enfant est autiste et elle mène depuis des années un combat contre cette maladie. De présentatrice sur MTV à son combat contre l'autisme, cette femme est complète. Elle pourrait être très drôle en Lespagnard le soir et très sérieuse le jour pour son association.
Julie de Yelle, que j'adore et pour qui j'ai fait des tenues de scène est adulée dans le monde entier. En concert à Los Angeles, à Tokyo ou à Mexico, cette petite bretonne rend tout le monde hystérique. Elle ferait une très bonne égérie.
Tu collabores avec des artistes ?
Oui bien sûr, c'est très important pour moi, car cela me donne du recul par rapport au milieu de la mode et me donne d'autres pistes. Ainsi je collabore avec Yelle, la photographe Laetitia Bica, ma patronnière qui réalise des costumes pour la danse (pour la compagnie de Wim Vandekeybus), le graphiste Patrick Croes (qui est aussi DJ et VJ). J'ai également travaillé deux fois avec la chorégraphe Meg Stuart.
As-tu des conseils à donner à une femme, à une copine, pour quelle se sente plus belle ?
Un seul conseil, il ne faut pas chercher à cacher coûte que coûte certains de ses petits défauts.
Quels sont tes futurs projets ?
J'ai plein de projets ! Tout d'abord ma nouvelle collection pour octobre ! Puis ma première ligne (Jean Paul Lespagnard) artisanale et haut de gamme va cohabiter avec une seconde ligne que je vais lancer prochainement. Celle-ci sera faite de t-shirts, de jeans et influencée, dans les imprimés, par la première ligne. Elle sera d'abord vendue au Japon pour l'été 2010 et je cherche un agent commercial pour vendre dans le reste du monde. Le nom de cette collection n'est pas encore défini, mais il y a des chances pour que ce soit "I love JP".
Autrement, j'ai deux workshops de prévus : un en novembre avec Meg Stuart à New-York et un avec l'IFM à Berlin pour le mois de janvier, dont le thème est "le corps porté et transporté et les modifications corporelles". Je serai également présent dans un documentaire sur la mode belge que prépare la chaîne Arte (sortie en 2011).
Internet, le web 2.0, l'utilises-tu au quotidien, fréquentes-tu les réseaux sociaux pour ta création ou ta communication ?
Je suis accro à Internet! Je suis sur Facebook en permanence, j'inonde ma page de photos de ma collection, de mes parutions presse, etc.
Par exemple, j'ai fait des recherches sur Internet suite à mon inspiration frites/cowboy que je ne trouvais pas assez aboutie. Ainsi je suis tombé sur les clowns de rodéo. Ce sont des personnages qui interviennent quand les cowboys tombent et qui font des spectacles avant les rodéos, c'est magnifique ! Je me suis dit que cela n'avais jamais été utilisé; en fait je trouve beaucoup d'inspiration sur Internet, j'explore des domaines non étudiés, des niches.
L'univers de JPL
Jean-Paul Lespagnard est un point de fusion de différentes sources, cela se concentre, devient obsessionnel et se répand sous la forme d'une collection. Mais j'aimerais explorer d'autres formes d'expression, j'aimerais également faire de l'objet, créer Jean-Paul Lespagnard Maison par exemple, une ligne dédiée aux accessoires d'intérieur...
Travaillerais-tu pour une maison de couture, une marque plus classique ?
J'adore Lanvin ! Il y a de l'humour dans cette maison. J'aime beaucoup Alber Elbaz, bien que son style ne me corresponde pas, j'aime son recul par rapport a la mode, j'aime beaucoup l'entendre parler. Je me vois travailler pour une autre maison tout en gardant ma marque.
J'adore aussi le parcours de Marc Jacobs, le fait de travailler pour Louis Vuitton et de conserver sa marque au caractère très affirmé.
J'ai des choses en moi que je n'exprime pas dans mes collections et que je pourrais faire ailleurs, ce serait complètement compatible, je ne suis pas qu'un type rigolo, en fait je suis chiant comme la mort !
Que vas-tu faire aujourd'hui ?
Je dois préparer le plan de travail pour mes stagiaires et ma patronnière. Je dois m'occuper du budget et du business plan, bref c'est l'autre versant du travail du créateur.
Depuis que j'ai gagné le festival, l'investissement est beaucoup plus important, désormais je dois me battre pour être réellement présent, alors qu'avant je me battais pour montrer ce que je voulais faire.
Propos reueillis par Christian Poulot le 28 mai 2009 aux Deux Abeilles, 189, rue de l'université - 75007 Paris