Avec un père anglais d'origine italienne et une mère espagnole, avec l'Afrique et le Maghreb en ligne de mire, l'Orient qui transite vers cette seule porte ouverte vers les Amériques, le jeune Juan Carlos Antonio Galliano Guillén ne pouvait qu'être inspiré par la multi culturalité.
Et ce n'est pas son retour à Londres, à l'âge de 6 ans, qui allait changer tout cela.
Le faubourg de la capitale où sa famille habite, est un quartier pauvre où se côtoient africains, asiatiques et indiens.
Même si la famille Galliano ne roule pas sur l'or, (le papa est plombier), l'ambiance y est résolument chaleureuse et gaie.
Anita, sa mère, lui apprend alors à danser le flamenco sur la table de la cuisine ; c'est elle qui lui donne le goût du baroque et qui l'initie au raffinement du vêtement.
John et ses deux soeurs, Rosemaria et Imaculata, portent, même pour aller chez l'épicier, des tenues blanches repassées avec soin et amidonnées.
Elève moyen dans les disciplines principales, John était, dès le collège, doué pour le dessin, mais c'est en arrivant au City and East London Collège qu'il commence vraiment à étudier l'art.
Acharné de travail, il dessinait sans arrêt et passait ses journées à la bibliothèque. Après trois ans passés au sein de l'illustre école de stylisme, Central Saint Martins College of Art and Design, il obtient donc légitimement en 1984 son diplôme de styliste, mention très bien.
Parallèlement à ces études, John Galliano travaille comme habilleur au National Theatre et assiste Tommy Nutter à Savile Row, le must en matière de coupe.
Fort de cette expérience, inspiré par la théâtralité du vêtement et la révolution française, il présente son défilé de fin d'études, " Les Incroyables ". Un flot de chemises en organdi, de volants, de rubans multicolores portées avec des vestes sur l'envers et devant derrière, déferle sur le podium.
La mode est réinventée avec des siècles d'avance ; le public, médusé, assiste à la naissance d'un ovni.
Les huit modèles de la collection sont immédiatement achetés par la célèbre fondatrice de Browns qui l'exposa aussitôt dans sa boutique londonienne.
La toute première cliente de Galliano n'est autre que Diana Ross à qui il vend un manteau.
La boutique est dévalisée, le jeune styliste est d'ores et déjà lancé.
La toute première collection de John Galliano, un an à peine après avoir obtenu son diplôme, est dès lors très attendue : " Afghanistan Repudiates Western Ideal " est un mélange entre coupes traditionnelles des tailleurs et tissus orientaux, c'est déjà un voyage.
C'est aussi le début de sa collaboration avec la styliste, Armanda Harlech. Ensemble, ils créeront plusieurs collections à Londres, qui, malgré un succès mondial proche de l'hystérie, ne rapporteront pas le succès escompté.
Les industriels, plus frileux et moins imaginatifs en la matière, n'imaginent pas les modèles de Galliano transposables en prêt-à-porter.
Ainsi, bien qu'il déchaîne les foules et qu'il remporte le prix du créateur britannique de l'année en 1987, ses financiers le lâchent.
1991, John Galliano embarque son équipe avec lui pour Paris.
Même s'il compte déjà quelques clientes prestigieuses comme Madonna et Kofi Olomidé, c'est dans un petit studio à la Bastille, " transis, fauchés et affamés " -raconte Armanda Harlech- qu'ils mettent au point les derniers détails de la première collection parisienne inspirée de " Napoléon et Joséphine ".
Les deux collections qui suivent démontrent, si tant est qu'elle restait encore à prouver, la technicité et les doigts d'or que possède John Galliano.
Admirateur inconditionnel des créations de Madeleine Vionnet, il se passionne pour le biais qu'il manipule à merveille ; cette technique pourtant très délicate, devient sa marque de fabrique, pour lui " une robe en biais, c'est la volupté même, c'est comme nager dans une mer d'huile ! ".
Paris lui tend les bras, mais l'Amérique commence à lui faire les yeux doux, surtout lorsque Anna Wintour, la rédactrice en chef du Vogue outre atlantique, vient se pencher telle une bonne fée sur le travail du prodige.
1995, Bernard Arnault, PDG de LVMH, nomme alors Galliano directeur artistique de la Maison Givenchy à qui il redonne ses lettres de noblesse.
Mais un an plus tard c'est la double consécration : John Galliano devient directeur artistique pour l'inégalable Christian Dior et remporte pour la troisième fois, en si peu de temps de surcroît, le titre de styliste britannique de l'année.
Sa première robe au sein de la Grande Maison sera pour la Princesse Lady Diana à l'occasion du cinquantenaire de la marque Dior au MoMa de New York.
Les collections se succèdent, les siennes, sous l'enseigne Galliano et celles créées pour la célèbre Maison Dior. De " Haute Bohemia " inspirée par Dorothy Dandridge, première afro-américaine nominée aux oscars (bien avant l'ère Obama), à " Maori moment " en passant par " A Russian Gypsy Named O'Flanneghan " et " Eyes of a Child ", toutes les collections de John Galliano racontent des histoires, toutes sont des aventures extrêmes.
En 1999, John Galliano est nommé directeur artistique pour l'ensemble des lignes féminines de Dior, il devient également responsable de l'image et de la communication de la marque.
Deux ans plus tard, il est en charge des parfums Dior. Cette même année, il est fait Commandeur de l'Empire Britannique par la Reine.
Désormais, Sir John peaufine son image d'icône de la mode, il choque et se donne avec parcimonie sauf dans ses collections. Ainsi, il choisit d'habiller seulement quelques personnalités capables de porter la marque Dior aux, quitte à refuser beaucoup de demandes.
Et il choque ! La collection " Clochards ", en mettant à l'honneur avec romantisme " l'ingéniosité que déploient les déshérités pour se vêtir " a donné lieu à de nombreuses manifestations d'associations de soutien aux SDF devant le siège de Dior, a marqué à tout jamais le monde de la mode et a scandalisé plus d'une inconditionnelle de la marque en rupture avec ce nouveau style défini comme " porno-chic ".
2003, John Galliano ouvre une boutique à son nom, rejoignant ainsi le sérail de l'élégance au coeur de la mythique rue Saint Honoré, à l'emplacement même où, Madame de Tencin, (mère de D'Alembert, femmes de Lettres, Galante libertine et frondeuse) tenait salon. Il lance la même année sa première collection pour Hommes.
Toujours en quête d'innovation, Galliano crée en 2004 une ligne de lingerie, puis en 2008, une ligne de montres, d'accessoires, de joaillerie, de prêt-à-porter et de chaussures Enfant, une ligne de beachwear et un parfum.
Génie iconoclaste ! " Everybody is Beautiful ", défilé Printemps/Eté 2006, John Galliano ose l'impensable dans un monde où la beauté est affaire de critères drastiques ; ses créations sont portées par des nains, des géants, des physiques de toutes sortes, des gros, des minces...
Sur chaque chaise, était déposé un manifeste revendiquant " le droit à la mode pour tous...parce que tout le monde est beau ".
Fidèle à sa fantaisie qui se moque des conventions, la collection Hiver 2008/09, " In Xanadu did Kubla Khan a stately pleasure-dome decree " met en scène un poème de Samuel Coleridge écrit sous l'emprise de l'opium.
Exubérant, excentrique en manteau de fourrure multicolore, dandy, narcissique, timide, introverti, John Galliano est multiple à l'image de ses créations.
Mais ne vous y trompez pas, si l'homme passe pour être le styliste le plus déjanté de la planète, il n'en reste pas moins un bourreau de travail menant son équipe tambour battant à un rythme haletant. Il est loin de n'être " que " le créateur évaporé au corps luisant et au regard perdu dans le vague de ses finals...c'est également un businessman redoutable participant aux plans marketing, contrôlant la communication et l'image de la marque, attentif à ce qui se passe sur le terrain avec les points de vente.
A tel point que Bernard Arnault a même envoyé sa propre fille, Delphine, faire ses armes auprès de ce corsaire qui a multiplié le chiffre d'affaires de Dior Couture par 3,5 (665 millions d''euros en 2005) et le nombre de boutiques, par 10 (la 196ème vient d'ouvrir à New Delhi) depuis son arrivée.
Que ce soit pour les campagnes photo de Dior réalisées depuis 8 ans par Nick Knight ou pour remédier à un problème en boutique, Galliano écoute et cherche des solutions créatives, arguant que le résultat obtenu est le fruit d'une équipe, d'un travail avec et pour tous. "
John Galliano est devenu un booster d'énergie qui dynamise toutes les activités de la maison...un investissement, un peu comme la Formule 1 pour un constructeur automobile ", précise Sidney Toledano, le PDG de Dior Couture.
Avec un agenda aussi rempli, John Galliano, bien que magicien, est obligé de s'arrêter pour regarder, sentir, éprouver... alors il part en " voyage de recherche ", régulièrement, pour renouveler son inspiration. Il en revient avec des tonnes de photos, des bouts de tissus, des breloques, des souvenirs de murs graffités et de fêtes lointaines, tout un bric-à-brac...
De retour à Paris, le styliste, conteur, aventurier, fabuliste... recrée en associant des idées, des matières, des couleurs à ses propres codes avec pour objectif : émerveiller les podiums et les âmes d'enfant comme lui, qui garde toujours dans une pochette secrète, des médailles gagnées du temps où petit garçon; il avait gagné des concours de cha-cha-cha, tango, fox-trot et flamenco.
Et il lit : Galliano est un boulimique de livres et d'arts, il rappelle d'ailleurs qu'avant de devenir l'expert en volumes, coupes et incrustations qu'il est devenu, il a longuement étudié les beaux-arts, la peinture, la sculpture, le cinéma, le théâtre... et beaucoup fréquenté les musées, les galeries, les expos.
Les boites de Soho aussi, au temps de la grande époque romantico-punk, croisant au passage Boy Georges ou Georges Michaël.
Aujourd'hui, l'ancien nightclubber prépare au moins 12 défilés par an, aussi, fidèle à sa personnalité excessive et perfectionniste, il a remplacé les nuits de débauche par le sport à outrance.
Le révolutionnaire John Galliano aurait voulu ressembler à Napoléon, Picasso ou Mozart ; petit garçon, il rêvait d'être pirate-aventurier, cette saison, il vient de créer un spectacle grandiose : un conte de fée ukrainien où des anges semblant venus du ciel déambulent avec une grâce infinie, croulant sous de lourds manteaux de brocart ou ondulant dans des voiles diaphanes sous la neige et dans un tunnel d'une lumière bleue irréelle.
Quand on lui demande ce qu'il aimerait qu'on dise de lui, il répond : " Il m'a rendue belle, il m'a rendue heureuse, il a fait de son mieux. "
Naissance : Le 28 Novembre 1960
Âge : 62 ans
Métier : Directeur artistique / Créateur
Signe astrologique : Sagittaire
Ville : Gibraltar