
La marque Anthropologie a décidé de frapper fort en choisissant comme égérie la mannequin et actrice Lauren Hutton, 74 ans. Figure phare du mannequinat dans les années 60-70 et un des premiers tops vedettes à devenir actrice, son aura n'a pas changé. Mais comme on le sait, pas facile quand on est une femme de perdurer dans les métiers de l'image. Une tendance révoltante qui tend à s'inverser ?
Voilà une démarche bien dans l'air du temps de la part d'Anthropologie. Dans leur campagne "Portrait of Woman", la marque de prêt à porter met en avant des femmes de tous les horizons, mais aussi de tous les âges. La présence de Lauren Hutton en est la preuve. La mannequin et actrice de 74 ans pose ainsi dans des pièces de la griffe, sourire aux lèvres et naturelle pour une campagne sans retouche, authentique.
La beauté n'a pas d'âge
Anthropologie l'a bien compris : l'âge, ce n'est que des chiffres. Il ne définit pas une femme. Et à 74 ans, Lauren Hutton a l'étoffe d'une égérie comme à ses 21 ans, qui marquaient le début de sa carrière dans le mannequinat. Icône jusque dans son parcours unique, la marque rend ainsi hommage à la femme mais aussi à la mannequin qui a été adoubée par des grands noms comme Chanel, Tom Ford et, l'année dernière encore, Bottega Veneta.
En effet, en 2017 Lauren Hutton s'est imposée comme égérie Calvin Klein et posait en couverture du Vogue Italie. A cette occasion l'actrice soulignait la victoire que signifiait cette couverture. "J'ai posé 27 fois pour le Vogue américain et 13 fois pour d'autres couvertures de Vogue, mais celle-ci est la plus importante que j'aie faite, celle qui me fait me sentir le plus utile. Cette couverture peut changer la société, car elle montre une femme vibrante, séduisante, qui rit encore et qui, pour la première fois, est une femme de mon âge", avait-elle déclaré alors. Il faut dire que la représentation de femmes passées la soixantaine était très rare jusqu'à il y a peu.

En effet, arrivées à un certain âge les femmes ont longtemps été invisibilisées car considérées comme "pas assez glamour". Comme si on ne s'attelait à représenter qu'une certaine tranche d'âge de la gente féminine, impliquant donc que la beauté aurait une date de péremption. Un phénomène qui ne touche étrangement (ou pas) que les femmes.
Mais la tendance tend enfin à s'inverser, si on en croit la campagne de la marque Eyeko qui a pour égérie Daphné Self, 89 ans ou encore Baddie Winkle, mamie star d'Instagram ultra populaire. De son côté, Jane Fonda qui a, à peu de choses près, le même parcours que Lauren Hutton défilait encore l'année dernière pour L'Oréal, à 80 ans. La marque Anthropologie appuie ainsi le fait que le monde de la mode - ou du moins une partie de ce milieu - souhaite faire évoluer les choses.

De la difficulté de vieillir dans le cinéma
Par contre, du côté du cinéma, la tendance a du mal à s'inverser. Il est bien connu que passées 50 ans, les actrices sont beaucoup moins demandées. En 2013, Geneviève Sellier, professeure et chercheuse à l'université Bordeaux 3-Montaigne et coauteure de "La Drôle de Guerre des sexes du cinéma français" confiait à France TV Info : "Le modèle "homme âgé-jeune femme" est une légitimation à l'écran d'une pratique sociale fréquente, qui voit les hommes "évacuer" les femmes de leur âge. Les acteurs hommes bénéficient d'un privilège double : ils sont plus visibles et ont des carrières très longues. Même si le phénomène s'est un peu atténué, le principe reste le même : les femmes ne sont regardables que jusqu'à 30 ans. A la femme revient la notion de désir, à l'homme celles du rôle social et de la réussite professionnelle, donc de l'âge. Au cinéma, les hommes ont le droit de vieillir, pas les femmes".
En 2018, le constat n'avait pas tellement évolué, à en croire un article du Monde qui rapportait les propos de Gwenaëlle LeGras, maîtresse de conférences en études cinématographiques et coauteure de "L'Age des stars, des images à l'épreuve du vieillissement" : "Le système impose aux actrices de vendre plus souvent leur capacité de séduction que leurs compétences. (...) Or, à plus de 50 ans, c'est-à-dire une fois ménopausée, une actrice rentre dans un tunnel qui la place dans une zone indéfinie, dont elle sort lorsqu'elle peut jouer les grands-mères". Ajoutant : "Si la société considère que les hommes se bonifient au fil du temps, ce n'est pas le cas pour les femmes : en vieillissant, celles-ci s'éloignent du tyrannique canon de beauté 'jeune et jolie'".
Lauren Hutton et Jane Fonda sont apparues à l'écran récemment, l'une dans le film "I Feel Pretty" et l'autre dans la série qui cartonne "Grace & Frankie". Des choix qui viennent de Netflix, plateforme jeune et qui vit avec son temps, pendant que le cinéma hollywoodien a, lui, clairement décidé de rester campé sur ses positions.

Héloïse Famié-Galtier