
La barre est très haute cette saison puisque Raf Simons pour Jil Sander a déjà signé l'une des meilleures collections de la saison et de la marque elle-même.
Le créateur évolue en toute liberté à travers les codes d'une maison qu'il connaît parfaitement, une pureté du propos pour un clan de femmes élitistes. Mais sa maîtrise lui laisse les portes ouvertes pour aller s'approprier n'importe quelle histoire et la transformer en une nouvelle épopée Jil Sander. Mot de passe obligatoire : modernisme. Ou comment en évoquant la procession d'une mariée tout en blanc immaculé, suivie de ses demoiselles d'honneur en robes vichy ou jupes à motifs Paisley, on se retrouve propulsé d'un mariage un brin bourgeois à Bordeaux, à un évènement plus abstrait, version 2030. Dans cette clinique privée pour jolies dames, les intouchables de Raf Simons portent la robe étroite, femmes aux lignes longilignes, bottes lacées et voilettes en guise de protection.
Mais l'exercice réside en l'excellence d'une couture inventive et radicale, comme si Courrèges ou Saint Laurent, époque Dior, lavaient plus blanc que blanc et s'interdisaient désormais tout superflu. Une bonne coupe, quelque bijoux ici et là et un beau chignon offrent toujours une manière de s'en sortir pour une femme en quête d'une élégance presque hautaine. Dans ce spa Jil Sander, c'est la bonne santé qui prime, au risque d'appliquer des mesures d'hygiène radicales mais salutaires pour la mode : on ne blague pas avec l'héritage de la maison. Jil Sander demeure à distance de toute vulgarité et s'inquiète du futur du bien-porter. Raf Simons délivre un chant du modernisme où les reproductions de dessins des céramiques de Picasso - pionnier de ce modernisme - sur des pulls " intertia " rappellent que l'on discute art, et pas seulement guenilles. Les Grace Kelly de Raf Simons deviennent presque surprotégées, hors de portée d'un monde abasourdi d'un chaos incessant. Cette vision grand angle, aux baies vitrées aussi propres que du cristal, offrent un espoir sur l'étendue marécageuse d'une mode en surchauffe.
Fabrice Paineau