
Le Showcase, 20h. Le groupe Neïmo s'apprête à enflammer sous peu la salle de concert sous le pont Alexandre III. Héritiers des Smiths et cousins des Strokes, les quatre français voient leur son raffiné sortir des frontières hexagonales pour titiller les oreilles des anglo-saxons, qui n'ont pas l'air de se plaindre. Entretien avec Bruno, Camille, Matthieu et Vincent.
Quel était le mot d'ordre en commençant le groupe?
Vincent (batterie) : Voilà une question à laquelle je ne pourrai répondre (Vincent a intégré le groupe il y a un an, ndlr).
Bruno (chant) : L'idée était surtout de s'amuser et de ressembler à nos idoles.
Matthieu (synthé): On avait simplement envie de se retrouver, de faire de la musique ensemble. On ne savait pas où ça allait, ni ce que ça pourrait donner.
Bruno : En fait, c'était juste pour le style! Pour pouvoir porter un jour de la fourrure autour du cou!
Camille (guitare) : Un animal mort autour du cou!
Bruno : Tu peux constater que les membres du groupe sont anti-fourrure, tu pourras le noter!
Votre définition du style?
Bruno : Coco Chanel a dit une phrase qui résume parfaitement ma pensée : "La mode passe, mais le style reste". Le style est une question d'attitude. Une façon globale de porter tes vêtements, de "porter" ta musique. Ce qui me fait rire, en ce moment, c'est la pseudo tendance des clous. Ca me fait rire parce que ça existe depuis vingts ans et ce n'est repris par la mode qu'aujourd'hui.
Camille : Puis-je m'appuyer sur la proposition de Bruno?
Matthieu : C'est ce dans quoi tu te sens bien.
Quelle importance a la mode dans votre vie?
Camille : Pour moi, elle a une influence passive, j'y suis très sensible, mais je ne m'en rends pas compte!
Bruno : La façon dont on s'habille est une manière de communiquer sur notre type de musique. Par exemple, en baggy, marcel et bandana sur la tête, il y a de grandes chances que tu fasses du hip hop. Lorsque les gens, sans avoir entendu notre musique, voient nos têtes sur des pochettes de disques, il est important qu'ils puissent reconnaitre le style de musique qu'on fait. C'est une forme d'expression personnelle importante.
Camille : Prenons l'exemple des grunges et des punks : même s'ils se prétendent en marge de toute mode, leurs looks sont repris. Ils contribuent donc à créer des codes.
Bruno : Bien sûr, les punks sont même le contre-exemple le plus intéressant: les Sex Pistols ont vu leur style entièrement travaillé par Vivienne Westwood et Malcolm McLaren.
La mode influence-t-elle votre musique?
Bruno : Peut-être pas la mode en soi ...
Camille (l'interrompant) : C'est évident, quand on fait un disque, on pense à lui donner une image, à la façon de le présenter, à la façon de le vendre ...
Bruno : A son arrivée, Vincent, qui écoute beaucoup de musique africaine, nous a apporté des sons nouveaux, dans la lignée de l'afro-beat actuel. Et c'est amusant, parce que ça m'a conduit à me fabriquer un collier de plumes, avec des matériaux "ethniques", en partant d'un attrape-rêve indien. En un sens, c'est la musique qui a influencé mon style!
Avez-vous déjà joué pendant des défilés?
Camille : Moi, oui! Mais pas avec Neïmo. C'était pour Dior , nous avions créé un faux groupe et joué des morceaux du Velvet Underground. C'était très complexe car il fallait coller au timing à la seconde près. Sinon, Neïmo a été joué lors de défilés, par Karl Lagerfeld , notamment.
Aimeriez-vous le faire?
Bruno : Ca peut être amusant mais aussi perturbant, parce qu'il faut jouer la comédie. Les gens sont là pour voir des vêtements, pas un groupe. Quoique, Lily Allen a bien été mise en avant pour Chanel ... Ca doit être un exercice très intéressant, forcément rendu plus ardu par le fait qu'on ne se trouve pas en présence de son propre public.
Parlez moi de votre rencontre avec Karl Lagerfeld ...
Bruno : J'ai eu la chance de faire, il y a un an et demi, une séance photo au nom du groupe pour feu le magazine Mixte, vêtu des vêtements de sa marque, K by Karl Lagerfeld , shootée par Karl Lagerfeld himself. Le courant est très bien passé, le monsieur est incroyablement drôle et intéressant. Naturellement, au bout de quelques semaines, il a décidé de nous soutenir. C'est un homme passionnant, il a eu tellement de vies.
Camille : Il a une aura, une immense culture, une grand ouverture d'esprit, c'est un puit de science, il est incroyablement curieux.
Quels sont vos créateurs favoris?
Bruno : Karl Lagerfeld, forcément! Yves Saint-Laurent , Hedi Slimane . Kris Van Assche fait également d'excellentes choses.
Camille : Moi, je suis très vieille école, j'aime Christian Lacroix et Yves Saint Laurent.
Quels sont pour vous les artistes les plus stylés?
Bruno : Je dirais Bowie, c'est le roi. Il a eu énormément de styles.
Camille : Elton John! (rires)
Bruno : Ou Rufus Wainwright! Ils ont un peu le même style too much, d'ailleurs. Mais Bowie reste la référence ultime.
Matthieu : En ce moment, il y a un grand retour du style "on ressemble à rien", avec certains groupes new yorkais qui font de la musique très branchée, mais qui, stylistiquement, ne ressemblent effectivement à rien.
Bruno : Il y a un truc qu'on doit au Strokes depuis 2001, cependant, c'est le retour de la Converse! Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que la marque a fait appel à Julian Casablancas (le chanteur des Strokes, ndlr), avec Pharell Williams et Santigold, pour interpréter leur chanson anniversaire!
Le fait d'être français vous met-il une pression supplémentaire en terme de style quand vous êtes à l'étranger?
Bruno : Au début, ça l'était ...
Matthieu : Mais c'est les français qui mettent le plus de pression, en fait.
Bruno : A New York, on nous a dit qu'on avait exactement les mêmes influences que les artistes américains. Notre différence résidait dans le fait que ces inspirations passaient par un prisme français, une assimilation différente.
De quels groupes vous sentez-vous proches, musicalement parlant?
Bruno : Je dirais Julian Casablancas. Pour son album solo, sorti récemment, il a utilisé beaucoup de synthé eighties, que nous utilisons également depuis six-sept ans. Ma copine m'a fait dernièrement la réflexion que les paroles de Julian étaient plutôt similaires aux miennes. Et un autre ami m'affirmait que Julian était certainement notre meilleur ami sans le savoir (rires)! Je pense qu'on s'entendrait bien si on se connaissait.
Et qu'est-ce qui vous rend meilleurs?
Camille : Attend, on change d'artiste!
Bruno : Je ne pense pas qu'on soit meilleurs que Casablancas, je le vois plutôt comme un alter ego. Je pense par contre qu'on est meilleurs que les Strokes sur scène, qui ont des chansons géniales, mais qui sont incroyablement blasés.
Camille : J'aimerais quand même bien avoir le même son de guitare que Nick Valensi (guitariste des Strokes, ndlr) ...
Photos et propos recueillis par Racha Belmehdi