
Elle a eu la lourde tâche d'habiller Yves Saint Laurent et ses muses pour le "Saint Laurent" de Bertrand Bonello. Anaïs Romand ne se revendique aucunement styliste. Elle est "costume designer" et son expérience associée à sa maitrise du tissu nous ont dupés : difficile de faire la différence entre ses créations et les tenues signées de la main du couturier qui apparaissent aussi dans le film... Rencontre avec l'artiste au Café Jules à Paris.
Comment se lance-t-on dans quand on vous propose le défi de reproduire des pièces Saint Laurent ?
La première étape a été la lecture du scénario. Et tout de suite la production m'avait bien dit qu'ils avaient les droits de la maison Saint Laurent. Après, il ne fallait évidemment pas trahir ce que monsieur Saint Laurent avait créé. C'était un gros défi de rester fidèle à ce qu'il avait fait, de ne pas faire des choses en-dessous de la qualité de ce qu'il produisait. Ça a été un gros travail de documentation puis il a fallu faire un tri parmi ce qu'on avait envie de montrer. Mais il n'y avait aucun interdit puisqu'on avait l'accord complet de François Pinault qui est l'actuel propriétaire de la marque. Ce que l'on n'avait pas, c'était l'agrément de monsieur Bergé pour qu'on aille travailler à la Fondation dont il est le président, pour voir les choses en vrai, faire des relevés de modèles. Mais on a été aidés par un conseiller historique, Olivier Châtenet, qui est également un collectionneur et un styliste.
Avez-vous habillé tous les acteurs ?
Olivier a lui-même une importante collection de vêtements YSL, surtout du prêt-à-porter, et puis des créateurs de cette époque, du Chloé par Karl Lagerfeld, mais aussi de très beaux accessoires... Quand j'arrivais à trouver dans sa collection des vêtements qui pouvaient aller aux acteurs, je ne me privais pas de les utiliser. C'était une chance incroyable de travailler avec des pièces authentiques. Ça a été un grand apport visuel au film. Gaspard Ulliel par exemple, c'est un petit mélange. J'ai beaucoup fabriqué pour lui, mais il porte aussi des pièces Saint Laurent. Amira Casar est entièrement habillée en Saint Laurent, c'est d'ailleurs le seul personnage. Léa Seydoux par contre est complètement "fabriquée". Je me suis totalement inspirée du style bohème, oriental, de Loulou de la Falaise (ndlr : son rôle dans le film), qui a lui-même fortement animé Yves Saint Laurent.
Il y a-t-il une pièce qui vous a donné plus de difficultés ?
Il y a eu la robe en mousseline avec la ceinture en poils d'autruche. Il y aussi tous les imprimés de la collection "Libération" de 1971. Heureusement, dans sa collection privée, Olivier avait un tout petit bout de tissu avec le bon imprimé. Ça m'a donné l'échelle mais après il a fallu trouver exactement le même crêpe de chine pour qu'il y ait le même tombé et puis faire imprimer le motif dans différentes couleurs, essayer de s'approcher au plus près du vrai motif. C'est un peu un travail d'anthropologiste, on scrute le moindre détail à la loupe. Après on est aidé par le fait que ça soit un film, qu'il y ait une caméra qui bouge. Je savais sur quelle pièce on pouvait se permettre des gros plans.
Et reproduire un défilé Couture, ça doit être un travail titanesque ?
Oui. D'autant qu'il n'y a aucune liberté, juste celle de la caméra qui permet de faire l'impasse sur quelques gros plans. C'était un vrai exercice de style Saint Laurent à respecter à la lettre. Je ne voulais pas trahir Saint Laurent ou choquer Pierre Bergé qui est un peu le gardien de sa mémoire.
Où sont ces costumes aujourd'hui ?
On a les a tous donné à la cinémathèque comme ça il n'y a aucun risque qu'ils se baladent dans la nature et qu'il y ait des faux Saint Laurent qui se promènent.
"Saint Laurent", au cinéma depuis le 24 septembre 2014.
Propos recueillis par Chloé de Trogoff